Sabine Blanc

journaliste web

Vidéosurveillance : « on écrit l’arrêté qui sera en vigueur en 2020… »

L’objectif de l’AN2V est clair : l’association nationale de la vidéoprotection souhaite une révision de l’arrêté du 3 août 2007 « portant définition des normes techniques des systèmes de vidéosurveillance », afin de l’adapter aux évolutions en la matière. Elisabeth Sellos-Cartel, adjointe au Préfet délégué à la Sécurité Privée pour le développement de la vidéoprotection, a rappelé la vocation de cet arrêté, paru 12 ans après que la loi du 21 janvier 1995 a enfin encadré la vidéosurveillance : « à quoi ça sert d’autoriser des systèmes s’ils ne servent à rien ? »

L’AN2V a donc réuni ce jeudi ses adhérents - entreprises, utilisateurs privés et publics et institutions -, afin de constituer treize groupes de travail chargés d’élaborer un livre blanc pour septembre.

Une velléité douchée en ouverture par le ministère de l’Intérieur, par la bouche de Jean-Louis Blanchou, le préfet délégué interministériel à la sécurité privée. « L’arrêté reçoit peu de critiques fondamentales, a-t-il rappelé, nous n’en sommes qu’au stade de la réflexion sur la nécessité de le retoucher ». Il a souligné que « les besoins des utilisateurs priment, pas ceux des entreprises, la norme ne doit pas s’aligner sur ce qui ce fait de mieux techniquement ».

Quality not quantity

La précision n’est pas inutile, tant l’histoire de la vidéosurveillance s’apparente à une lucrative fuite en avant technologique. Le président de l’AN2V Dominique Legrand « fantasme » (sic) sur une sorte de Google search qui permettrait de chercher par exemple telle couleur dans des heures d’images, rappelant que les policiers en charge de l’affaire Merah ont dû fouiner en vain dans plusieurs teraoctets de données, pour un maigre résultat. S’il s’est défendu d’être « un marchand de caméras » en préambule, une hausse des exigences techniques devrait a priori faire le bonheur desdits marchands membres de l’association qui participent à ce livre blanc.

Le préfet a également redit que la position de l’Etat avait évolué avec l’arrivée de Manuel Valls. Après avoir « acclimaté les populations, les opérateurs, les élus, l’objectif a évolué ces derniers mois, on ne veut plus faire du chiffre, l’accent est mis sur l’apport aux agents de l’Etat sur le terrain, dissuasion, protection et élucidation. Les polémiques ont changé de paradigme : avant, les caméras étaient liberticides et inutiles, maintenant, les gens se demandent si ça ne coûte pas trop cher pour ce à quoi ça sert. Ne vaudrait-il pas mieux investir ailleurs ? Cet aspect doit être transversal à toutes les réflexions. » Un sondage BVA cité par le préfet indique en effet que 75% des Français sont désormais très favorables au développement de la vidéosurveillance dans l’espace public.

« Il existe un risque d’annulation de procédures »

Jean-Louis Blanchou a souligné l’importance de « fixer des critères de norme pour sécuriser le système et éviter des mauvais usages et des détournements car il existe un risque d’annulation de procédures qui fragiliserait la qualité de l’outil. »

Une intervention conclut par un dernier rappel : « Ce livre blanc doit rester un document AN2V, mais il ne sera pas estampillé “État”. l’État piochera éventuellement le cas venu dedans, en fonction de ses contingences et de son ressenti. »

« Notre objectif c’est que vous soyez "obligé" de modifier l’arrêté, a plaisanté en retour Dominique Legrand, que vous ayez envie de le faire. »

Le reste de la réunion a été consacré à la constitution des groupes de travail. Pour présenter un livre blanc crédible, les représentants des quatre «  collèges » de l’AN2V ont été invités à contribuer. « Il n’y a que des représentants des centres de sécurité urbaine dans ce groupe », a taclé à un moment donné Elisabeth Sellos-Cartel. Finalement, les groupes finissent par s’étoffer, entre gros représentants, de Thalès à la ville de Lyon en passant par la SNCF, et d’autres plus modestes.

Stockage, interopérabilité, mobilité, relecture des enregistrements, le spectre large a suscité des réflexions dépassant sans doute ce que peut faire fixer l’arrêté : « l’objectif n’est pas de réécrire la loi de 1995 », précise Dominique Legrand. Gille Robine, du ministère de l’Intérieur, explique que « l’arrêté ne peut concerne que les caractéristiques techniques, on ne pourra pas imposer telle utilisation ».

« Il y a beaucoup de déception sur la vidéoverbalisation »

Au détour des échanges, on apprend qu’ « il y a beaucoup de déception sur la vidéoverbalisation : on n’a pas la plaque, alors même si elle est volée on peut la retrouver. Un élu qui a installé des caméras pour la vidéoverbalisation a expliqué lors d’une précédente réunion que ça ne marchait pas ». C’est pourtant une tendance montante, avec Paris qui vient de lancer après Nice ou bien encore Marseille.

La sécurité des systèmes d’information est « un problème qui nous prend au nez et de plus en plus », s’inquiète Dominique Legrand. L’ANSSI devrait apporter sa contribution sur ce groupe de travail.

La question des masques est aussi remise sur la table, ces caches numériques qui servent à protéger la vie privée. « Faut-il les adapter, les crypter ? », s’interroge Dominique Legrand. Il constitue parfois « une gêne dramatique dans les enquêtes. » À ce sujet, un représentant de la communauté urbaine de Strasbourg estime que les textes juridiques trop flous : « ça me donne beaucoup de travail le contrôle de la Cnil... »

Autre point qui titille, l’interdiction posée par le Conseil constitutionnel de filmer la voie publique avec des caméras privées. « Plein de caméras de commerce sont braquées vers l’extérieur, la loi n’est pas respectée. Des particuliers ont envie de mettre des caméras sur la route devant leur maison, ça pourrait servir pour le gars qui passe en moto noire (Mohammed Merah, ndlr). Si ça pouvait remonter en haut… »

Un bijoutier approuve mais cette question ne relève pas de l’arrêté. Elle finira en annexe, dans les autres sujets à traiter un jour.

Dominique Legrand invite aussi à ne pas se brider technologiquement : « on écrit l’arrêté qui sera en vigueur en 2020… » Une envolée prématurée pour le moment.

A (re)lire : Le lobby caché des caméras

Crédit photo Flickr by nc nd Mypouss

12 avril 2013

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