Sabine Blanc

journaliste web

Maker Faire Rome : formater la révolution

La semaine dernière, Rome accueillait la première Maker Faire d’envergure européenne, l’occasion de voir enfin à quoi ressemblent in situ ces énormes foires aux bidouilleurs nées aux États-Unis. L’ensemble m’a laissé l’impression d’une de ces foire-expo sans âme : grande, truffée de monde, si bien qu’on crawlait pour avancer, une machine à cash bien rodée à 6 euros le sandwich riquiqui + demi de bière. Maker Faire est une licence qui se monnaye et qui requiert de respecter des guidelines longs comme un jour sans chocolat. On est loin d’un joyeux bordel organisé.

Un des participants regrettait qu’il ait dû réaliser à l’arrache une vidéo présentant son projet et un site pour avoir le droit de postuler. Les heureux élus makers payent leur voyage et leurs frais sur place. Tant pis pour les inventeurs/bricoleurs sans le sou et pas très versé dans la communication. Ceci dit, vu le nombre de projets commerciaux présentés, c’était somme toute donnant-donnant. Je suis même tombée sur un courtier en brevets qui s’étalait sur trois stands. Maker Faire ratisse large, trop, parce que sa bannière de rassemblement l’est : maker.

Tu la sens ma révolution ? Roland DG Corporation avait un énorme stand pour montrer ses machines-outils.

Le business était un des grands sujets de conversation, la chambre de commerce était même partenaire, rêvant de redorer son économie grâce à des myriades de start-ups créatives honorant la patrie de Léonard de Vinci et d’Olivetti, des Arduino en pagaille.
Une demi journée était même consacrée au business des makers, baptisée TechGarage, avec ce sempiternel mythe du gus dans un garage qui devient un entrepreneur à succès.

Tout ce discours passerait bien mieux si Maker Faire n’avait justement la prétention de « refaire le monde » (sic). Mais le concours opposant dix start-up en mode Star Academy avec vote du public et insupportable musique de show américain, 4 minutes top chrono de Power Point mal foutu présenté par des jeunes gens propres sur eux en jean-basket-chemise donnait l’impression opposée : les recettes sont vieilles, les aspirations rances.

Si le mot open source revient souvent dans les bouches, peu de projets commerciaux font ce choix. Et certains, comme MakerBot ou UltiMaker surfent dessus sans respecter la règle du jeu. Dommage d’avoir oublié que les gus dans les garages des années 70, ceux qui créèrent les PC, partageaient leurs connaissances. Mais est-ce possible de quitter le garage pour changer le monde et devenir très riche en restant un gus, that is the question.

Entre deux slots de Power Point, Meet Quin, le CEO de Qtechknow, une boutique en ligne d’électronique, est venu parler de sa réussite. Son ambition ? Rester CEO et avoir son staff. Il va d’événement en événement pour « se faire des relations d’affaires » (entre autres, hein, il aime vraiment l’électronique). Petite précision : Meet Quin a 12 ans (ci-dessous).

La grande annonce de l’événement a été le partenariat entre Intel, nouveau grand ami des makers, et Arduino, accueillie parait-il par un silence glacial. Ceci dit, la communauté de MakerBot avait aussi rué dans les brancards en apprenant que l’entreprise fermait en partie son produit. Cela n’a pas empêché la firme de se faire racheter 400 millions de dollars par Stratasys, un des poids lourds de l’impression 3D pour professionnels.

Le côté gadget de certains projets, aussi sophistiqués soient-ils, m’a également laissée perplexe. D’un côté, cela illustre de nouveau le hiatus entre l’ambition et la réalité des pratiques. Utiliser toutes ces neurones pour faire des objets sans réelle utilité, quel gâchis en ces temps de crise ! D’un autre côté, faut-il laisser tomber le simple plaisir de la créativité comme fin en soi, la performance technique, voire technico-artistique ? Il ne faut pas oublier que les hackers du MIT qui révolutionnèrent l’informatique n’aimaient rien tant que le hack pour la beauté du hack. Émerveiller des gamins, c’est déjà beaucoup.

Un homme-robot lors du spectacle donné le vendredi.

L’impression 3D, la reine

Les imprimantes 3D étaient surreprésentées et il fallait bien cela pour répondre à la curiosité d’un public qui, souvent, en voyait pour la première fois une en vrai, tripotant, admiratif, les petits objets de plastique disposés sur les tables.

Fatiguée de lutter pour avancer, abrutie par le bruit, j’ai finalement passée une bonne partie du dimanche au stand d’Emmanuel Gilloz, le créateur de l’imprimante open source pliable RepRap. Une expérience très intéressante. Les questions du public se résumaient à :

- « Combien ça coûte ? » « six cents euros, seicenta euros, six hundreds euros, not dollars. »
- « Où puis-je en acheter une ? » Les cartes de visite sont parties comme des petits pains.

Mais très rarement : « à quoi ça sert ? ». Les gamins étaient comme fous, la lueur dans les yeux de certains parents n’avaient rien à envier à celles des mômes. « E bello ! »

Tout cela m’a fait penser à une conférence de Ted Nelson, un des pères de l’hypertexte, prononcée lors de la première Computer Faire (foire aux ordinateurs) en 1977. Intitulée « Ces deux inoubliables prochaines années », elle anticipe déjà la récupération de l’idéal hacker qui a donné naissance au PC, pour développer une industrie classique :

« Pour le moment cependant, les petits ordinateurs fonctionnent d’une manière assez magique. Ils provoqueront des changements dans la société aussi radicaux que ceux provoqués par le téléphone ou l’automobile. Les petits ordinateurs sont là, vous pouvez les acheter avec votre carte de crédit et parmi les accessoires disponibles vous trouverez les disques de stockage, des écrans graphiques, des jeux interactifs, des tortues programmables qui dessinent sur du papier de boucherie et Dieu sait quoi d’autre encore. Tous les ingrédients pour créer de l’engouement sont ici réunis. Les ordinateurs sont en passe de devenir cultes et le marché des consommateurs sera bientôt mature. Engouement ! Culte ! Marché ! Tout le monde va se précipiter. La machine américaine de fabrication de publicités va s’emballer. La société américaine va sortir de sa bulle. Et les deux prochaines années vont être inoubliables. »

Make participe de ce discours incantatoire selon lequel l’imprimante 3D est la prochaine révolution, prête à débarquer dans nos foyers. J’aime bien le discours d’Emmanuel, qui tout entrepreneur qu’il soit, ne cherche pas à refourguer ses machines à tout le monde : pour lui, il faut équiper à l’échelle du quartier.

Le contraste avec le festival de hacking OHM, qui a eu lieu cet été, a été bien plus fort que ce que je ne pensais. Si l’on part du principe que ces deux événements sont représentatifs de la composition des deux communautés hacker et maker, chacune présente bien des particularités, en dépit des ponts évidents. J’avais quitté OHM comme on laisse une autre planète, mi-éberluée, mi-inquiète en me replongeant dans la « civilisation ».

Même si le milieu du hacking ne sent plus toujours très bon, comme en témoigne la polémique sur le sponsor Fox-IT, listé dans les Spyfiles, il reste bien plus subversif, à la marge. Et la discussion vive qui s’est emparée du camp dans Noisy Square, événement dans l’événement, sur cette polémique, en témoigne : ici on parle de politique, au sens premier du terme, on se pose des questions, quitte à faire voler en éclat pour la prochaine édition l’équipe. Alors qu’à Maker Faire, on ne polémique pas trop, tout est cool, tout le monde il est un maker et vous êtes great !!!!

Le débat vif sur le financement de Make par DARPA, l’agence de recherche du Pentagone, éclos l’année dernière, a tourné court. Il y a bien le hacker Mitch Altman, figure historique de l’open hardware, qui s’est retiré avec fracas de Make, sans susciter de grosse scission. Pour lui, cette alliance a corrompu l’esprit initial :

C’est à ce moment que cela a commencé à porter davantage sur l’argent et moins sur la communauté qui rendait Make et les Maker Faire si incroyables au début. Maintenant, il n’est question que de Radio Shack (une entreprise américaine qui vend de l’électronique, ndsb) et de Disney (sponsor de Maker Faire New York 2013, ndsb), et apparemment de l’argent de quiconque en donne, ainsi qu’un focus plus important sur la vente.

Le climat général de cette Maker Faire ne doit pas occulter qu’on y a aussi vu des projets open source superbes, portés par des gens qui voient plus loin que le bout d’une levée de fonds : Bionico, une prothèse qui coûte 100 euros, Libratoit, la maison de John Lejeune, un vieux de la vieille des bidouilleurs français, etc.

Mais que retiendront ces milliers de familles qui se sont frottées là pour la première fois à cet univers ? Que vont-elles faire et dans quel but ?

À lire aussi le billet d’Amaelle(sans ¨ sinon tu passes pas le contrôle à Beauvais), beaucoup plus nuancé que le mien et pédagogique aussi. Ne serait-ce que pour les projets de Bruce Sterling que les non-alignés s’appuient sur l’open source hardware pour maintenir leur souveraineté. Ce qui fait écho à la victoire que le pays avait remporté sur l’industrie du pétrole grâce au logiciel libre.

13 octobre 2013

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