Sabine Blanc

journaliste web

if Place de la Toile = delete
Les Internets = triste
end

La dernière fois qu’une émision de radio m’a autant ouvert les écoutilles, c’était C’est Lenoir, j’avais 15 ans dans un bled de province, j’en ai 32 à Paris, c’est dire si Place de la Toile va me manquer.

Xavier de la Porte et Thibault Henneton ont cette double culture rare des humanités classiques et numériques, nécessaire pour mettre du recul sur un sujet encore trop souvent relégué dans les rubriques “Economie” ou “Technologie”, et ils savaient inviter des gens avec ce profil. Pour reprendre le titre d’une des émissions, “le numérique, c’est politique”, profondément, au sens noble du terme. Place de la Toile, semaine après semaine, en égrenait les facettes, et me laissait toujours plus perplexe devant le manque de vision politique justement du personnel politique et leur méconnaissance des enjeux. A contrario, pdlt m’a aidée à esquisser ma politique du numérique.

Plusieurs années après, il y a encore des émissions dont je me souviens, leur réflexion m’avait sortie d’une demi-torpeur dans un train ou un canapé un dimanche après-midi. Les voici, malheureusement toutes les archives ne sont pas disponibles, mais sans doutes les Internets répareront cela.

Écrire avec la machine, un entretien avec Jean-Pierre Balpe, écrivain et chercheur qui travaille sur les relations entre littérature et informatique. Si la machine est capable de générer de la poésie, cet art divin, que reste-t-il à l’homme ? Ce sujet m’a laissé en plein désarroi métaphysique devant ma planche à repasser.

L’être et l’écran, entretien avec Stéphane Vial, docteur en philosophie et maître de conférences en design à l’Université de Nîmes. De Proust à Facebook, comment le numérique change la perception. Si on m’avait expliqué la phénoménologie ainsi, je me serais moins enquiquinée en cours de philo l’année du bac.

Des Cisterciens à Google : le regard d’un médiéviste sur le numérique, entretien avec Patrick Boucheron, historien médiéviste. Parce qu’il est primordial de réfléchir l’impact du numérique, et de la technique en général, en le replaçant dans une perspective historique lointaine, pour dessiner les variants et invariants, et nuancer le rebattu “c’était mieux avant Internet, nos jeunes étaient moins bêtes, n’avaient pas une attention de poisson rouge", etc.

A ce sujet, on pourra parfois se consoler de la perte de Place de la toile en écoutant Concordance des temps de Jean-Noël Jeanneney, qui jette régulièrement ce regard historique, bienveillant et approfondi sur le numérique, cf ça ou ceci.

Les trois écritures : langue, nombre, code, entretien avec Clarisse Herrenschmidt, anthropologue, philologue, linguiste et historienne de la littérature. Alors que l’enseignement du code à l’école refait surface en force, poussé par un lobbying du secteur informatique, que certains parlent du langage informatique comme du nouveau latin, il n’est pas inutile de réécouter cette émission.
Au passage, je ne pense pas que ni Clarisse Herrenschmidt, ni Xavier de la Porte, ni Thibault Henneton sachent coder. Pour autant, ils comprennent infiniment mieux les enjeux politiques du numériques que n’importe quel-le ingénieur-e bossant dans une SSII sans âme, ne serait-ce que parce qu’ils se posent la question. Des cours d’éthique du numérique ne feraient pas de mal.

La vie écrite des ados, entretien avec Elisabeth Schneider, enseignante et docteure en géographie et sciences de l’information et de la communication. Quand on cherche un discours un peu subtil sur le rapport des jeunes au numérique, on se tourne souvent vers danah boyd, qui est devenue la tarte à la bonne crème sur le sujet. Elisabeth Schneider est tout aussi délicate dans ses analyses. Et elle n’est pas financée par Microsoft (point troll).

Eh, Place de la toile, le numérique, c’est politique, entretien avec des membres de la rédaction d’EcoRev. Tout est dit. Grâce à cette émission, j’ai découvert André Gorz, un des premiers à faire le lien entre écologie politique et numérique, plus exactement logiciel libre, biens communs, ateliers coo­pé­ratifs ou communaux, aka fab labs, bien avant que les ministres ne se penchent dessus, et dans les dernières années de sa longue vie, si je pouvais vieillir aussi bien... Bref de quoi continuer de passer des heures en ligne sans mauvaise conscience, vs Jacques Ellul.

L’émission que j’aurais voulu entendre

Place de la Toile soignait sa bande-son mais n’a consacré que très peu d’émissions à la musique. J’aurais adoré en écouter une qui m’explique pourquoi Kraftwerk reste autant d’actualité, 40 ans après : comment ont-ils su rassembler dans une poignée de morceaux ce qui fait l’essence de notre société numérisée ?

Interpol and Deutsche Bank,
FBI and Scotland Yard,
CIA and KGB,
control the data memory !

Computer Welt, 1981.

13 juillet 2014

Messages

  • Merci pour ce rappel des meilleurs passages de #PDLT.

    Moi aussi Kraftwerk me fascine. Ils ont eu tout juste il y a plus de 30 ans.

    En fait, l’informatique est fondamentalement un système basé sur le login. Qui dit login, dit contrôle.

    Penser autrement, c’est se leurrer.

  • Une tristesse partagée, je ne sais pas si ça va aider à surmonter ta peine... Avant je maudissais la trêve radiophonique estivale et attendait avec impatience la rentrée, aujourd’hui je suis un peu désabusé.

    As-tu des infos concernant le motif de l’arrêt de l’émission, est-ce xdlp qui a souhaité arrêter pour un autre projet ou s’est-il éjecter (si c’est le cas j’aimerai bien en connaitre le motif !)

    Au cas où tu en aurais manqué et que le sevrage serait trop difficile, je les ai archivés depuis 2010...

  • Bonjour

    Je suis toujours étonné, bien que cela soit malheureusement récurrent, des avis des experts/personnalités/responsables/intervenants, s’exprimant sur le numérique, au sens large ; l’oubli systématique de la médiation numérique.
    Et cela se retrouve tant dans les émissions de PDLT que dans votre commentaire.
    Sans doute est ce du au fait que les personnes qui s’expriment ne le font que sur ce qui les "touche", les intéresse.
    Autrement dit, le fait que > de 15% de la population soit hs vis à vis de l’utilisation de ces outils, et souvent en situation de précarité, n’est pas à prendre en compte.
    C d’ailleurs ce que pensent la quasi totalité des élus puisque, quelque soit le gouvernement, aucun € n’est investi pour essayer de former ces exclus des TIC.
    On vit une époque formidable...^^
    Dommage....

    Cordialement

  • J’ai découvert PDLT il y a à seulement 1 an ! (mais comment ai-je fait pour passer à coté depuis si longtemps !!)
    Et voila que ca disparait immédiatement... :-(
    Ca va être moi aussi un grand manque, meme si j’ai encore pas mal de retard dans mes podcast...
    @MathGon : tes archives m’interessent... tu peux m’envoyer un mail à l’adresse de mon pseudo(ci-dessus) at free...

  • Il est dommage que l’émission Place De La Toile s’arrête. Voilà une émission unique qui mêle technologie, science, politique, philosophie et économie dans un concept nouveau et innovant sur des sujets d’intérêts publiques. La part des sciences étant déjà très faible au profit des sciences humaines et des humanités ce qui déséquilibre la grille de France Culture (FC). Si FC ne prend pas de risques en proposant des programmes exigeant en sciences ce ne sont pas les autres radios du groupe qui vont le faire. Or comme l’ont bien illustré les émissions Place de la Toile, nous ne pouvons plus comprendre le monde et jouer notre rôle de citoyen sans une dose de savoir scientifique et technologique. Ce ne sont pas les émissions de cinéma et de littérature ou encore de gastronomie déjà bien présente sur FC qui vont nous y aider.
    Or il est à craindre que l’émission ne soit remplacée par une énième émission culturelle de littérature, de cinéma, de théâtre ou d’économie.
    Nous n’avons même pas eu d’explication sur la non-reconduction de cette émission. Était-ce en raison d’un trop faible nombre d’auditeurs, ou parce que les sujets abordés sont dérangeants ? Nous aimerions bien comprendre.

  • C’est la rentrée et je découvre avec tristesse que mon émission favorite sur France culture disparaît ! Je suis déçu, triste aussi, et je ne sais que dire... Ce ne sont pas les modestes 3 minutes de chronique le toujours talentueux Xavier De La porte qui remplaceront Place de la toile !
    Pendant que j’y suis si quelqu’un a l’enregistrement de : "Écrire avec la machine, un entretien avec Jean-Pierre Balpe" !! Ca m’intéresse car je travaille sur le sujet actuellement ! Merci de me contacter sur le mail : mp.mac@orange.fr.
    Cdlt.
    Michel

  • En faisant une recherche pour trouver une émission de PDTL dont j’avais besoin pour un travail, j’ai découvert les archives de PDLT du 09/10/2009 au 03/12/2011 , il faut aller sur iTunes et faire une recherche dans les podcast avec la chaîne de caractères "David Ruzicka". Si qq’un(e) sait où trouver les archives 2007, 2008, 2009 ou peut les mettre en DL qq part ce serait sympa ! Le rêve ce serait d’avoir une compile de tous les PDLT !?
    Sinon je pleure tjrs la disparition de PDLT, qq’un sait pourquoi ça s’est arrêté ??

  • France Culture est entrée depuis plus de dix ans dans la logique de l’audience... Donc ce n’est plus la qualité intrinsèque qui compte, mais une qualité de communication. Il y a donc de + en plus de communicant et de moins en moins de gens de savoir.
    Snif ! Triste époque.

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