Sabine Blanc

journaliste web

Le politique, le fardeau du white hacker

Ce billet est né des échanges sur la pelouse de OHM, une canette de bière à la main, avec Amaëlle Guiton et Pierre Alonso.

Laissera-t-on un jour en paix les hackers ? Il est fort probable que non, et plus encore après ce qui s’apparente à un tournant pour la communauté : le scandale des écoutes de la NSA. C’est ce qui ressort des échanges lors de Observe Hack Make (OHM), le grand rassemblement de hackers qui a eu lieu début août aux Pays-Bas, et en particulier à Noisy Square. Cet événement dans l’événement a été organisé suite à la polémique sur le principal sponsor de OHM, Fox-IT, une boite qui fait de l’interception de communication et qui était listée dans les Spyfiles de WikiLeaks. L’auteur y décrivait ce qu’il considère comme une schizophrénie de la scène hollandaise : d’un côté brandir les mêmes valeurs que leurs prédécesseurs « techno-anarchistes », de l’autre bosser pour des boîtes qui font l’inverse exact. Il concluait sur un appel :

« Alors s’il vous plait, efforcez-vous de savoir qui vous êtes vraiment et quel est votre camp. Reconsidérez ce qui se passe dans le monde autour de vous. Parlez du rôle que nous y jouons. Définissez votre identité. Et, à la fin, si vous voulez encore vous appeler un hacker, laissez le renard dehors. »

« Si vous êtes apolitique, vous aidez l’ennemi. »

Une antienne reprise lors du discours de clôture de Noisy Square, intitulé « Ethics and Power in the Long War ». L’hacktiviste Eleanor Saitta exprimait le point de vue d’une partie de la communauté :

« Pendant longtemps, ça a très bien marché, tu sais, je ne veux pas vraiment être politique, car j’aime juste triturer du code, c’est très amusant, et je n’ai pas vraiment de temps pour la politique car je passe treize heures par jour à regarder le code du shell et le socialisme prend trop de temps. C’était génial pendant un temps, mais on ne peut plus être apolitique.

Car si vous travaillez sur la sécurité, si vous faites du développement et que vous êtes apolitique, alors vous aidez la structure centralisée actuelle. Si vous travaillez dans la sécurité et que vous êtes apolitique, vous travaillez certainement pour une organisation qui existe en grande partie pour appuyer des entreprises et des structures de pouvoir existantes. [...] Si vous êtes apolitique, vous aidez l’ennemi. »

Voilà donc toute la communauté obligée de porter l’immense fardeau du white hacker : sauver notre démocratie « en déclin », pour reprendre l’expression d’un des intervenants du Great Spook Panel. Tous hacktivistes en somme.


Conférence par Skype (!) de Julian Assange lors de OHM. 

Engouement médiatique pour l’hacktivisme

A cette pression participent bien sûr les journalistes qui suivent avec attention et bienveillance la communauté. Je me souviens d’avoir eu le sentiment d’une immense bouffée d’oxygène politique, au sens noble de l’adjectif, en me plongeant dedans : ça bouillonne dans tous les sens, tous les domaines, bien au-delà de la sécurité informatique hardcore. Les possibles me semblaient de nouveau ouverts avec ces nouveaux magiciens.

L’actualité a fourni au milieu une formidable vitrine qui a contribué à faire évoluer son image. Même les JT ont parlé des actions de Telecomix en soutien aux révolutions arabes. La Quadrature du Net est devenue l’interlocuteur incontournable sur les libertés numériques, en particulier après la médiatisée victoire contre ACTA. On a vu ONG et activistes se rapprocher de cette communauté.

Le programme de OHM est frappant, qui laisse la part belle aux whistleblowers et son corollaire technique (sauf à passer par la bonne vieille boîte aux lettres), la sécurisation des échanges sur Internet. Et les médias ont accordé une attention certaine à ce phénomène.

Rien à foutre

Sauf qu’une partie des hackers en a sans doute rien à foutre, voire trouve ça plutôt chouette d’envoyer en taule Manning et Snowden en prison, comme le montre la réaction d’une partie des hackers à Black Hat lors de l’intervention du général Keith Alexander, le chef de la NSA : des applaudissements. Et oui, on peut être un hacker et un patriote de base. La légende Peiter “Mudge” Zatko n’a-t-elle pas rejoint DARPA pour empêcher d’autres WikiLeaks ? De ce point de vue, il est étonnant de voir des hackers tourner maintenant le dos au gouvernement américain avec des airs de vierge effarouchée.

On peut aussi être juste un(e) adepte des challenges techniques ravi(e) de bien gagner sa vie en s’éclatant et/ou bien un bon père/bonne mère de famille qui fait son taf sans se poser de question. Des gens ordinaires quoi, hormis leur appétence technique en dehors des sentiers battus, qui ne pensent pas du tout, contrairement à Annie Machon, qu’« on a tous un petit whistleblower en soi ».

Lors du débat « What’s the matter with the hackers these days ? », une participante a expliqué que son copain bossait chez Fox-IT et qu’ils n’avaient pas l’impression de mal agir. Et les voilà sommés de prendre position.

« Je me demande seulement si ce n’est pas prêcher des convaincus », s’interrogeait Patrice Riemens, un « dinosaure » de la scène hollandaise, comme il se décrit. « Il faut politiser les techniciens, m’expliquait Kheops de Telecomix, le risque c’est le cynisme et l’individualisme : on m’a retiré mon jouet, je prends un VPN et basta. ». Lui-même reconnait avoir eu une phase de doute après les grosses opérations du collectif dans les pays arabes, avant de reprendre le bâton de pèlerin, moins enthousiaste mais plus solide.

Eleanor Saitta n’a pas nié la difficulté de l’entreprise, ni les conséquences sur la communauté :

« Cette guerre a des coûts réels. Elle n’est pas gratuite, elle n’est pas facile. Elle induit des coûts à de nombreux niveaux. Elle a des coûts pour notre communauté. On parle de peut-être faire de Noisy Square le prochain OHM. De mener le prochain camp hollandais dans quatre ans. Si cela arrive cela scindera vraiment la scène hollandaise. »

Episode 1, Stallman, épisode 2 Noisy Square ?

L’intensité déjà bien réelle des débats, au point qu’un des organisateur d’OHM en a pleuré, semble révélatrice à la fois des enjeux mais aussi d’une certaine image que le milieu a de lui-même. Noisy square clamait « putting the resistance back in OHM », comme en référence à un âge d’or d’une conscience politique du hacking. De ce point de vue, la création du mouvement du logiciel libre en 1984 est peut-être ce qui se rapproche le plus du tournant à l’œuvre à l’heure actuelle : c’est en réaction à la fuite des hackers du laboratoire d’IA du MIT dans des boîtes lucratives de logiciel propriétaire que Stallman lance le mouvement. Mouvement qui résume le logiciel libre à « liberté, égalité, fraternité », et se place donc sur le terrain moral et non pas technique. Les deux étant bien entendus liés quand il s’agit de pouvoir trifouiller dans un logiciel pour voir si des backdoors ne se planquent pas.

Pourtant si on remonte l’histoire moderne du hacking, on constate que les premiers hackers du MIT n’étaient pas du tout politisés : peu leur importait que l’argent qui leur permettait de donner libre court à leur passion était celui des militaires. Il faudra attendre la guerre du Vietnam pour qu’une seconde génération de hackers, sur la côte californienne, teinte le terme d’une connotation politique, tendance libertarienne. C’est eux qui donneront naissance à l’ordinateur personnel à la fin des années 70 qui fut pensé comme un outil d’empowerment, à une époque où ordinateur était synonyme de machine de mort utilisée par l’armée.

L’éthique hacker qui se dessine alors est politique, imprégnée de l’idéologie de l’époque :

« L’information devrait être libre et gratuite.
Méfiez-vous de l’autorité. Encouragez la décentralisation. »

Objet sociologique flou

Le flou de l’objet sociologique « hacker » complexifie encore la question. Quittant la sphère de la sécurité informatique pure et dure, le terme a pénétré tous les champs, décliné à l’envi, jusqu’à la nausée. Élargissement légitime mais aussi affadissement parfois. Quel point commun entre un Aaron Swartz, un Mitch Altman ou bien un Jacob Appelbaum et quelqu’un qui va faire du Arduino le week-end ? Le phénomène induit une extension du périmètre des personnes concernées par le débat : c’est le revers de la médaille de se dire hacker à tout bout de champ, ou d’en voir partout.

Au fond, plus que les seuls hackers, c’est l’éthique des codeurs dans leur ensemble qui doit être examinée, mais les écoles qui les forment ne semblent guère s’en soucier pour le moment.

Peut-être verra-t-on à l’avenir apparaitre un logo « code éthique », comme pour le chocolat ou les vêtements ou une clause « usage non militaire » ?

Photos Flickr CC by nc nd Walt Jabsco, by sa mlcastle, by frederic.jacobs.

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À lire aussi :

Take me OHM d’Amaëlle Guiton qui a écrit un livre sur les hacktivistes très recommandable, garanti NSA-proof.

Et sans doutes Lines in the sand : which side are you on in the hacker class war, sur Phrack.

12 août 2013

Messages

  • Sur les applaudissements à Keith Alexander, j’ai entendu une histoire un peu différente. À savoir que le public a en fait applaudi une réaction dans la salle et non les propos de Keith Alexander.
    M’enfin, je n’étais pas sur place, pas plus que la personne qui m’a parlé de ça :)

  • Articles très intéressant à deux grosses nuances plutôt de définition que j’en ai.

    Un. L’apolitisme n’existe pas. On peut tout à fait être a-partisan, trans-partisan, mais l’apolitisme est une quelque chose d’impossible. Toute action publique conduit de près ou de loin à du politique. Comme disait Aristote "L’Homme est un animal politique".

    Deuxième chose je pense que derrière le je m’en-foutisme premier se cache en réalité une attitude globale qui dépasse d’ailleurs allègrement le milieu hacker mais qui en est le milieu le plus révélateur, l’individualisme moderne, pouvant conduire même jusqu’à un personnalisme.

    J’espère pouvoir monter un projet de recherche visant à confronter le milieu libertarien et le milieu hacker et je pense y trouver de très grandes similarités, voir une commune pensée. Je pense que la politique est clairement dans cette dimension.

  • Moi ce qui me fait marrer c’est l’orientation de ce texte, bien à la française et qui fait partie de la même intox :
    - un bon hacker sera un hacker de gauche
    comme on a déjà
    - un bon journaliste est un journaliste de gauche
    - un bon artiste est un artiste de gauche
    - un bon politicien est un politicien de gauche

    Juste cela déjà illustre parfaitement l’immaturité politique de l’auteur et je pense que ce n’est franchement pas gagné au final pour les geeks/hackers/nerds/hipsters ....

  • Hello !

    Quel dommage qu’on ne puisse pas continuer ce débat sur un Pad. Il y a tellement de concepts compliqués et différents qui sont associés qu’il est difficile de bien comprendre.

    Par exemple, je ne comprends pas complètement cette affirmation comme quoi "être apolitique et travailler dans la sécurité = aider forcément l’ennemi" : Je suppose que l’auteur voulait dire quelque chose de bien particulier, mais je n’ai pas reussi à en comprendre tout le sens ou les subtilités. Travailler étant pour moi déjà une facon de faire de la politique...

    Donc c’était juste pour dire que j’aurais bien aimé pouvoir poursuivre ce débat dans un Pad ou l’on viendrait compléter et débattre de ce qui est écrit dans cet article, de facon à ce qu’il soit parfaitement compréhensible par tous, et le plus exhaustif possible.

    Un pad agrémenté d’une session Mumble en paralèèle histoire que ce soit assez vivant, ce serait vraiment bien :D

    Stman.

  • Pour Eleanor Saitta, travailler dans la sécurité informatique — comme consultant par exemple — implique, sauf prise de position claire, de travailler pour des boîtes ayant à voir, d’une manière ou d’une autre, avec la défense nationale, i.e. avec le complexe militaro-industriel. C’est ce qu’elle entend précisément avec cette expression "aiding the enemy".

    my 2 cents ;)

  • rien à ajouter à ce que j’ai déjà dit, écrit, etc...

     ;-)

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